Le Bruit

nouvelles et histoires courtes

Jean-Jacques

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Par Arnaud Lander
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Jean-Jacques n’en avait que faire des serviettes hygiéniques de sa femme. Ce qu’il souhaitait le plus au monde, c’était s’acheter le sac de 4kg de briquettes de charbon Weber.

Il en avait rêvé depuis quelques temps maintenant. Acheter la maison, refaire l’intérieur. Prendre le temps de profiter. Aménager l’extérieur et pouvoir contempler sa femme se dorant la pilule l’été. Inviter les copains, boire un coup en terrasse, lancer les braises pendant l’apéro du soir. Préparer en cuisine la viande, les pommes de terre alu, les légumes à griller. Attendre tranquillement la fin de journée, et ce moment, où tout le monde se regarderait et aurait épuisé les sujets de conversation, et où dans un élan de convivialité, dans les halos dorés du soleil d’Août de fin d’été, Robert et Marc se relèveraient sur leurs coudes en clamant « Bon ! Y commence à faire faim ! Tu nous as préparé quoi de bon Jean-Jacques ? ». Oui Jean-Jacques. C’était ce moment que tu attendais depuis des années, celui où tu allais assurer la réception, nourrir les gens, leur donner envie de revenir, vivre enfin ces bons moments que les années avaient laissé prendre la poussière pendant que tu soignais ton cancer.

Car les chimios et les rayons n’en avaient que faire de cette convivialité. De cette envie de revenir parmi les vivants, progressivement, en prenant le temps. Ils n’en avaient que faire que Jean-Jacques reprenne peu à peu le goût de la vie, des moments partagés, de l’amitié fraternelle entre camarades de bar toujours prêt à blaguer ou jouer au palet pendant que les femmes piaillaient sur leurs transats dans le jardin arrosé le matin et réchauffé par la journée.

La maladie l’avait en effet poursuivi toute sa vie durant, mais Jean-Jacques était un combattant. D’opérations en traitements, il avait toujours su faire preuve de la résilience qu’ont ces hommes braves au grand cœur, ceux-là mêmes pour lesquels on se demande bien ce qu’ils ont fait au ciel pour que tant de cataclysmes s’abattent sur leur vie. Jean-Jacques était de ces gars-là, qui n’ont que faire du vent dans la tempête, bravant les éléments et retrouvant toujours ce courage nécessaire pour s’en sortir et aller de l’avant.

Aujourd’hui Jean-Jacques était sauf. Et il n’en avait que faire des serviettes hygiéniques de sa femme. C’est pourtant à cause d’elles qu’il mourrait quinze jours plus tard d’un virus invisible contracté en allant les acheter au supermarché.


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