La fenĂȘtre
Il est de ces cœurs étranges qu’on ne pourra jamais sonder. Mystérieusement cachés au fond de leur tanière, inatteignables, ils résident dans l’ombre des années durant, discrets. Prêts à fuir dès l’instant où l’insécurité se ferait trop présente.
Maxence était de ceux-là.
Cela faisait des années que Samantha l’avait quitté. L’air hagard, il trainait encore de temps en temps dans le patio de son toit-terrasse, là où ils avaient échangé leur premier baiser. Ce soir d’août 2003 où la pluie chaude l’avait poussée à trouver refuge chez le beau ténébreux, elle avait lâché prise et baissé sa garde, prise au piège du regard enjôleur de Maxence. Il l’avait séduite. Ils avaient fait l’amour et s’étaient alors pris au piège l’un de l’autre.
Le quotidien s’était bien sûr installé, peu à peu, comme pour tous ces couples qui rêvent d’un avenir radieux et se retrouvent enfermés dans le rythme infernal de l’habitude. La routine envahissante avait peu à peu détourné leurs regards l’un de l’autre. Le beau ténébreux avait laissé place au taiseux fuyant pendant que la belle déçue attendait que l’avenir tienne ses promesses. La vie de tous les jours les avait faits tous deux dériver peu à peu et se perdre au loin, leurs regards embués voyant leur idéal commun disparaitre dans la brume du souvenir.
Ce souvenir.
Cela faisait longtemps que Maxence n’avait plus ressenti ce souvenir. La sensation des lèvres chaudes et douces de Samantha. Ses bras autour de son cou, le creux de ses reins sous sa main qui l’étreignait amoureusement. Ses épaules de pêche découvertes par son chandail glissant légèrement un soir d’été. Ce souvenir d’amour et de passion qui l’avait quitté depuis des années.
Samantha était partie un soir d’octobre. Au creux de l’automne, elle avait pleuré après une énième de leurs disputes futiles, de ces disputes qui révèlent la lassitude des amoureux d’avant, et mettent au jour ces pensées interdites rêvant d’ailleurs. Samantha n’était pas de ces femmes qui prenaient sur elles indéfiniment, et c’est ainsi qu’elle était partie. Dans un dernier coup de sang, au milieu des cris et des pleurs, sans se retourner.
Maxence n’avait eu que ses yeux pour pleurer pendant que sa silhouette s’en allait au loin, son corps disparaissant dans l’ombre de ce mardi soir pluvieux, le bruit de ses pas retentissant dans l’escalier puis s’étouffant dehors dans le bruit continu des gouttes de pluie, derrière la porte claquée, puis sur le trottoir mouillé, puis nulle part, dans le néant au-delà du coin de cette rue sordide où Maxence avait élu domicile.
Maxence n’avait pu la retenir. Elle était partie pour de bon.
A travers la fenêtre il était resté des heures à fixer cette ombre lointaine, espérant vainement la voir réapparaitre et revenir dans ses bras. Mais elle n’était jamais revenue.
Maxence avait ouvert son cœur à Samantha. Elle avait fait de lui un homme meilleur. Elle avait fondu son cœur de glace dans une passion si intense, qu’il se retrouvait aujourd’hui décomposé, froid comme la lave d’un volcan ayant coulé brutalement dans l’océan, figé et durci dans un dernier élan explosif et ravageur de peine et de douleur.
A scruter l’ombre à travers cette fenêtre de patio stupide, à espérer si fort qu’elle se retournerait, à souhaiter plus que tout qu’elle lui revienne, il était lui-même devenu cette ombre. Fade, seule et crépusculaire. Ridicule et triste. Pathétique. De ces ombres qui font pourrir votre âme et font disparaitre en vous la vie.
Cela faisait trois ans pile que Samantha l’avait quitté. Et ce 27 octobre, il avait beau regarder par cette même fenêtre, rien n’avait changé. Elle n’était pas revenue.
Dans son patio trônaient encore ces souvenirs débiles. Cette boîte de thé Mariage Frères qu’elle n’avait jamais pu finir. Ces coffrets en métal où il avait stocké leurs premières cartes postales. Ce poulpe en plastique mal foutu acheté à Monterrey et posé là près de la lampe. Ces reliques d’une vie qu’il avait failli partager avec elle pour toujours.
Il éclata en sanglots.
Il l’aimait encore, il en était sûr maintenant.
C’était enfoui là dans sa poitrine depuis toujours.
Il l’aimait encore mais, elle, ne l’aimait plus.
Il est de ces cœurs étranges qu’on ne pourra jamais sonder. Mystérieusement cachés au fond de leur tanière, inatteignables, ils résident dans l’ombre des années durant, discrets. Prêts à fuir dès l’instant où l’insécurité se ferait trop présente.
Maxence ouvrit alors la fenêtre et se jeta dans le vide.
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